Critiques·Ecriture

Ex Nihilo : une revue étudiante qui a tout d’une grande

Mes chers (et rares) lecteurs, je vous ai déjà parlé d’Ex Nihilo dans un précédent article, ayant eu la chance de rencontrer l’équipe. Pour ceux qui ne s’en souviennent pas (ou qui ont la flemme de lire ou de relire l’article précédent), il s’agit d’une revue intégralement dirigée par une équipe éditoriale composée de quatre étudiantes du Master Ingénierie Éditoriale et Communication (ou Master IEC pour faire court) de l’université de Cergy-Pontoise (enfin, le Master IEC lui-même est à Gennevilliers). Si ces quatre personnes mènent le projet à terme, leurs camarades de master y participent également, généralement en tant qu’auteurs.

Un numéro sort chaque année. Comme ce projet a été lancé l’année dernière, il s’agit en l’occurrence du numéro 2 (logique, n’est-ce pas ?), consacré au Portugal (le premier l’ayant été à la Finlande), les M2 ayant eu la chance de visiter Lisbonne lors de leur voyage d’étude. Comme je l’ai dit dans mon article précédent, ce Master a en effet une vocation internationale, ce qui passe naturellement par un voyage permettant de rencontrer des professionnels d’autres pays.

Avant de passer au sujet, je tiens à dire que le nom des auteurs n’apparaîtra pas dans cet article, sauf demande ultérieure en ce sens, mais je pars du principe que ça n’arrivera pas. Il s’agit là d’une forme d’éthique personnelle : personne ne veut voir son nom associé à un article d’un blog quelconque sans le moindre contrôle sur le contenu du blog en question. Je n’aspire pas à devenir un auteur polémique, mais l’honnêteté me pousse à ne pas mêler des gens qui ne l’ont pas demandé ou ne sont pas au courant, quand bien même je les connaîtrais personnellement (et, ici, je ne connais personnellement aucun des auteurs impliqués).

Ce point étant éclairci, passons au sujet qui nous intéresse, à savoir non pas mes tergiversations de journaliste du dimanche, mais une vraie revue professionnelle. Que l’on me pardonne en revanche quelques errances de mon esprit si peu propice à la concentration. La faute en incombe au produit qui est à lui seul une invitation au voyage, et ce dès la couverture.

Don’t judge a book by its cover… except when you do

Il est en effet impossible de présenter la revue sans aborder l’esthétique. C’est souvent ce qui attire le regard du chaland en librairie. Il est commun de dire qu’on ne juge pas un livre à sa couverture, mais c’est assez finalement faux dans de nombreux cas.

En l’occurrence, la couverture est une jolie illustration représentant un paysage de Lisbonne en deux dimensions et aux couleurs agréables, essentiellement froides et claires (littoral oblige, le bleu domine) pour la couverture de face à l’exception du rouge du pont du 25-avril qui contraste avec le reste. On notera aussi la présence du tramway. Quant au dos, il présente une rue plus colorée avec des maisons typiques de la ville dont, comme c’est bizarre, une librairie.

Le paysage n’a pas été sans me rappeler une autre ville que je rêve de visiter : San Francisco (en Californie, pas les autres villes portant le même nom). Une recherche m’apprend d’ailleurs que je ne suis pas le seul à noter les similitudes entre les deux villes : elles sont toutes deux situées sur la côte ouest, font partie du club restreint des villes aux sept collines et sont connues pour leur street art urbain, leur tramway et leur pont suspendu rouge-orange.

Fait rigolo (oui, je traduis « fun fact ») : le pont du 25-avril a été construit par l’American Bridge Company qui a aussi conçu le San Francisco – Oakland Bay Bridge, l’autre grand pont suspendu de San Francisco, mais pas le Golden Gate Bridge. Si la couleur du 25-avril peut faire penser au Golden Gate Bridge et a été à l’origine des comparaisons, la structure est clairement plus proche de son grand frère américain.

Et rien que l’idée d’en parler éveille en moi des envies de voyage. Enfin, passons cet aparté pour observer un peu le véhicule nous permettant d’embarquer vers ce beau voyage en terre littéraire.

Embarquement immédiat dans la navette Ex Nihilo

Ne passons pas par quatre chemins : la mise en page est impeccable. Quand on observe le produit, on a clairement affaire à un travail professionnel de qualité. De mon regard de critique amateur, on est proche de la perfection (ou de toute bonne revue que l’on peut trouver en librairie, si vous trouvez que j’en fais trop). On peut bien formuler quelques critiques, mais elles relèveraient davantage du pinaillage que de la critique constructive et se comptent sur les doigts d’une main.

Allez, mon seul reproche se trouve sur la couverture où une partie du texte mord sur un bord blanc et coupe un peu les lettres. Ce n’est pas dramatique, on est très loin de la catastrophe graphique, mais j’aurais vu un petit retrait à droite pour éviter ça.

Pour le reste, j’ai parcouru frénétiquement les pages de ce numéro, cherchant longuement la coquille grosse comme une maison qui me permettrait de pointer l’équipe d’un doigt moqueur, mais j’ai hélas dû me rendre à l’évidence : le travail de relecture et de correction est, comme le reste, d’une qualité indéniable (je suis certain que l’on trouvera plus d’erreurs dans cet article que dans toute la revue).

Anton EgoMoi me délectant à l’idée de décortiquer la revue pour la critiquer (en vain).

Le texte est aéré et les caractères de bonne taille : ni trop gros (ce qui est pénible et prend de la place), ni trop petit (ce qui peut être douloureux et fatigant pour les yeux, surtout quand on a un problème de vue comme c’est précisément mon cas). C’est un bon équilibre qui rend la lecture agréable : peu importe la distance à laquelle on tient la revue, on peut lire sans trop se fatiguer les yeux.

Je note que les nouvelles utilisent une police plus petite, ce qui n’est pas si problématique, mais peut éventuellement gêner. Cela dit, les nouvelles n’ont pas non plus la même mise en forme, mais c’est normal (et heureux).

En ce qui concerne le reste, les pages ne sont pas surchargées, sans être pour autant trop sobres ou trop vides. Les illustrations et photos s’intègrent bien au texte sans prendre un espace considérable. Ceux qui veulent plein de photos et de jolies images seront déçus, mais ceux-là se sont peut-être trompés de revue.

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Après avoir décortiqué la forme, il est temps, si vous le voulez bien,  le fond.

Plongée dans une mer de mots

En ce qui concerne le contenu, la revue se découpe comme telle :

  • Actualités : comme toute bonne revue spécialisée, on trouve des actualités autour de la littérature, que l’on parle d’éditeurs, d’expositions, de salons, d’auteurs ou d’autres sujets. Mention spéciale à la tribune sur la censure.
  • Traversées littéraires : cette rubrique nous permet d’explorer de nouveaux horizons en découvrant des genres (par exemple, le light novel japonais), des mouvements ou phénomènes, voire des auteurs à travers le globe.
  • Le Dossier Portugal : les lettres lusophones concerne bien évidemment le sujet principal de cette revue, à savoir le paysage littéraire et éditorial portugais. On a le droit à un joli panorama sur le sujet et à un parcours illustré de Lisbonne (qui, pour le coup, ravira les amateurs d’images) en plus d’articles se concentrant sur certains aspects ou auteurs de la littérature portugaise. Un dossier qui ravira les curieux désirant découvrir cette littérature et plaira sans doute aux connaisseurs.
  • Les libraires ont aimé : je crois que le titre de la rubrique parle de lui-même. Il s’agit d’avis de libraires concernant des livres qu’ils ont aimés. Tout simplement. Et qui de mieux que ces professionnels du livre pour vendre des livres avec les bons mots ? Oui, je ne suis peut-être pas objectif, en tant qu’ex-vendeur en librairie.
  • La rubrique suivante, Itinéraires bis, nous propose de jouer à l’aventurier ou l’explorateur sortant des sentiers battus pour découvrir « le monde sauvage (gravitant) autour du livre et de la littérature, ce qui implique des innovations, des genre assez obscurs ou des expériences inédites.
  • Enfin, Création, dont je parlerai après, concerne le concours d’écriture qui fut proposé aux étudiants. On y retrouve donc les nouvelles gagnantes.

Je ne jugerai pas de la qualité de ces articles car ils sont tous remarquables. J’ai certes des préférences liées à mes goûts et intérêts, mais ça ne veut pas dire que les autres sont moins bons. Ils parlent moins à mes sensibilités et même ceux qui ne figurent pas dans mon top parviennent à faire partager inviter à s’intéresser enthousiasme.

Je sais que je n’ai pas l’air de me mouiller, mais mon but n’est pas de distribuer des bons ou mauvais points, n’ayant certainement pas la légitimité professionnelle pour cela.

À titre personnel (et purement personnel, donc), figurent parmi mes préférences les articles suivants (et sans ordre spécifique) :

« La lecture en prison pour la réinsertion » qui présente l’excellent travail de l’association lire pour en sortir dans les établissements français. Comme le dit si bien l’article, l’initiative est d’ailleurs inspirée de ce qui a déjà été fait au Brésil (notons qu’on conserve donc un lien avec la lusophonie, même si c’est sans doute une coïncidence).
À noter qu’Actualitté a récemment parlé d’un dispositif faisant appel à la lecture dans les prisons américaines, mais pour une raison autre que la réinsertion, que je vous laisse découvrir. Je trouve l’idée intéressante en soi.

« Mia Couto, l’alchimiste du verbe mozambicain » évoque l’oeuvre extraordinaire de Mia Couto, un écrivain mozambicain de langue portugaise. Comme le dit si bien l’auteure de l’article, toute la beauté de l’œuvre de cet écrivain se trouve dans la complexité de son héritage : il est à la fois mozambicain et blanc, africain et descendant d’Européens. L’écrivain a su puiser dans les deux cultures pour créer une œuvre riche.
Ce n’est pas sans me rappeler Mariza, la reine du Fado (du moins, actuelle tenante du « titre »), elle aussi née au Mozambique, mais aux origines métissées (contrairement à Mia Couto) qui a été influencée par ses racines africaines et d’autres styles musicaux et a su s’en servir avec brio pour enrichir son Fado, prouvant que les cultures ont toujours intérêt à se mélanger pour s’enrichir mutuellement.

« Agents littéraires, France vs. Allemagne », comme son titre l’indique, effectue un comparatif de la situation des agents littéraires en France et en Allemagne. Cet article m’a rappelé l’excellente conférence donnée par David Camus au Festival des Mondes de l’Imaginaire (à Montrouge) cette année et qui avait développé mon intérêt pour ce métier et explique également pourquoi cet article m’a plu.

Comme je l’ai dit, beaucoup de ces articles étaient intéressants, y compris parmi ceux que je n’ai pas cités. Les amateurs de théâtre trouveront aussi leur compte, par exemple. Après ce tour d’horizon, qui nous a permis de braver bien des dangers pour nous enrichir l’esprit, je vous propose d’effectuer un dernier envol vers le dernier trésor de cette revue. L’équipe a en effet déterré pour nous deux pépites.

Découverte du trésor perdu

Passons aux joyaux se trouvant au fond de ce trésor : les nouvelles gagnantes du concours d’écriture réservé aux étudiants de l’université de Cergy-Pontoise. Le sujet était simple : il fallait s’inspirer d’une citation de La Vie est ailleurs de Milan Kundera (voire la citer dans sa nouvelle). Elle était la suivante :

« Et il n’est rien de plus beau que l’instant qui précède le voyage, l’instant où l’horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses. »

J’aurais tendance à penser pour ma part qu’il n’y a rien de plus beau que le moment où on aperçoit au loin son foyer lors du trajet de retour, la tête pleine de souvenirs et les sacs de présents, avec la satisfaction d’avoir accompli un beau projet et partagé avec toutes les personnes que l’on a pu rencontrer à cette occasion.

Ce que j’ai trouvé intéressant, même si ce n’est certainement pas voulu, c’est que les gagnants représentent les deux « sœurs » des Masters de Cergy-Pontoise : d’un côté, nous avons une étudiante du master IEC lui-même, qui représente donc l’édition et, de l’autre, un étudiant du master création littéraire qui n’est d’ailleurs pas exactement à sa première réussite lors d’un concours d’écriture (yup, I did some fact-checking).

« De ceux » (oui, comme le morceau de Fauve) est une nouvelle au style poétique et une expérience sensorielle évoquant un puissant désir d’évasion. L’auteure (ou la narratrice) nous transporte grâce à ses rêves d’horizons et ses promesses de futurs voyages. On se laisse volontiers entraîner par son verbe et porter par les flots de ses pensées.
Je dois avouer qu’en lisant le départ d’un voisin aux boucles brunes, je me suis imaginé une jeune Hobbite voyant Bilbo partir la première fois mais le Hobbit a été remplacé dans ma tête par les traits d’un acteur gallois actuellement à l’affiche d’un film de guerre. Passée cette déception, il reste une nouvelle remarquablement écrite.

C’est toutefois vers « Berceuse », la seconde nouvelle, que va ma préférence. La première est excellente, ne vous méprenez pas, mais elle parle moins à mes sensibilités. Comme je l’ai dit, tout est affaire de goûts et je peux parfaitement comprendre pourquoi d’autres la préféreront. Là où « De ceux » évoque la promesse de voyages,  le côté aventure parle plus à un gars comme moi, casanier, qui décide de partir à l’étranger, d’autant plus que c’est ce que j’ai grosso modo fait l’an dernier, comme une sorte de défi.

Le registre de langage est plus familier que dans la première nouvelle, mais ce n’est en aucun cas une critique négative parce que c’est un style que j’apprécie particulièrement. Comme disait plus ou moins Hemingway en réponse à une remarque de Faulkner, nul besoin de grands mots pour des grandes émotions.

Le récit est touchant et fait vibrer ma corde familiale. L’histoire rappelle que le désir de voyage est finalement  contagieux et peut être laissé en héritage à ceux qui viennent après nous, comme Bilbo qui transmet à de jeunes Hobbits l’envie de voir du pays grâce au récit de ses souvenirs (hop, seconde référence à Tolkien).

En somme, je peux comprendre pourquoi ces deux nouvelles ont été choisies car ce sont deux déclinaisons d’un même thème suffisamment différentes pour n’avoir comme points communs que leur sujet et leur qualité indéniable.

Après des articles nous ayant permis de traverser des horizons et de voguer sur des flots capricieux, les nouvelles ont permis de nous envoler jusqu’au bout et l’atterrissage est abrupt quand on tombe sur la page des remerciements, suivi de celle des crédits.

On ferme alors cette superbe revue que l’on a explorée de long en large, avec la satisfaction du voyage accompli. Comme à la fin de tout voyage, d’ailleurs, non sans une petite pointe de tristesse et de nostalgie. Non sans joie aussi.

Pour les curieux, il est possible de commander cette revue ici : elle ne coûte que 12 euros pour à peu près 110 pages. C’est donc plus que raisonnable et, comme vous l’aurez compris, je vous en recommande la lecture.

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